L’énergie en transition
Environnement

Make America green again ?

27/1/2021
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Hasard du calendrier, le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris annoncé quelques années auparavant par Donald Trump est devenu effectif le 4 novembre 2020, lendemain du scrutin présidentiel américain. Deux mois et demi plus tard, le nouveau président démocrate, Joe Biden, faisait du retour dans l’accord de Paris l’un des premiers actes de sa mandature. Un pied de nez aux nombreux retours en arrière imposés par l’administration Trump en matière environnementale : près de 163 actes législatifs et de règlementations environnementales annulés ou remplacés, d’après l’Université de Columbia. La comparaison avec son prédécesseur a tôt fait de faire passer Joe Biden pour un écologiste convaincu. Mais son arrivée permettra-t-elle vraiment de corriger le tir ?


Une affaire réglementaire

Le 1er juin 2017, Donald Trump annonçait le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le climat. Signé en 2015 par le démocrate Barack Obama, cet accord avait pour objectif d’encourager les différents signataires à réduire leurs émissions de CO2 d’ici 2025 et à prendre des mesures pour réduire leurs consommations. A la barre côté américain, un certain Joe Biden, alors vice-président des Etats-Unis. La réintégration de l’état fédéral dans l’Accord de Paris était une des promesses de campagne du nouveau président américain, de même que l’atteinte de la neutralité carbone pour 2050. L’enjeu est de taille :  Les Etats-Unis font partie, avec la Chine et l’Union européenne (Royaume-Uni inclus) des trois plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. Si l’intensité énergétique des Etats-Unis, c’est-à-dire la quantité d’énergie nécessaire pour faire fonctionner leur économie, se situe dans la moyenne, l’empreinte carbone d’un américain est 3 fois plus élevée que celle d’un français.

Or, les conséquences de cet écart se font plus concrètes pour les américains chaque année : la moitié des grands feux de forêts des vingt dernières années ont eu lieu sous la présidence de Donald Trump. L’année 2017, année de l’investiture du président républicain, fut celle du plus lourd bilan lié à des catastrophes naturelles de toute l’histoire des Etats-Unis. Leur réintégration dans l’Accord de Paris devrait logiquement s’accompagner d’autres mesures de rétablissement. Car la déréglementation environnementale s’est également étendue à des secteurs plus pointus, comme l’efficacité énergétique : après avoir supprimé des normes visant à accélérer la disparition des ampoules à incandescence au profit des LED (qui consomment 5 fois moins d’énergie), l’administration Trump s’est également attaquée aux lave-vaisselle, éviers, douches et autres robinets qui bénéficient de mitigeurs. La raison : préserver la compétitivité des produits américains. Joe Biden a d’ores-et-déjà annoncé une annulation … des mesures annulées par son prédécesseur. Mais ira-t-il plus loin qu’un simple retour à la « normale » ?


Une ambition mesurée

Le 19 décembre dernier, Joe Biden a présenté à la presse son équipe chargée du climat. Le nouveau président des Etats-Unis a notamment choisi l’ancien secrétaire d’Etat John Kerry pour être représentant spécial pour le climat. Un signal fort qui annonce une volonté d’agir vite et surtout, collectivement. Le nouveau président démocrate, plus enclin à la coopération et au multilatéralisme que son prédécesseur, sait qu’il ne pourra pas faire l’impasse sur la question climatique s’il veut normaliser les relations avec ses alliés. On trouve également dans son équipe quelques anciens de l’administration Obama comme Gina McCarthy, ex-administratrice de l’Agence de protection de l’environnement, mais aussi de l’administration Clinton et Bush comme Michel Reagan, spécialiste des questions liées à la qualité de l’air. En somme, Joe Biden s’est entouré d’une équipe d’experts chevronnés qui ont aidé à construire la politique américaine d’avant Donald Trump.

D’inspiration presque « Roosevltienne », Joe Bien se place en investisseur. En complément du plan de relance déjà annoncé, chiffré à 1.900 milliards de dollars, Joe Biden présentera au Congrès le mois prochain un grand plan de relance verte doté d’une enveloppe de 2.000 milliards de dollars sur quatre ans. A titre de comparaison, le volet écologique du plan de relance français est d’environ 30 milliards d’euros sur deux ans.

Ce plan visera à mettre les États-Unis sur la voie de la neutralité carbone d’ici 2050 en créant des millions de « clean jobs ». Parmi les propositions phare, une électricité 100% décarbonée d’ici à 2035, de quoi affuter l’appétit des géants du nucléaire mais aussi du renouvelable. Il souhaite par ailleurs rompre avec le tout-pétrole.

Si le candidat a recueilli les soutiens de la plupart des ONG écologistes américaines, il est tout de même observé avec soupçon. Parmi les critiques récurrentes, son positionnement en faveur d’une sortie progressive – et non immédiate – de la fracturation hydraulique pour extraire le gaz de schiste, considérée comme très polluante. On ne remarque par ailleurs aucune référence au Green New Deal, si cher à son ancien adversaire Bernie Sanders et à la députée new-yorkaise Alexandria Ocasio-Cortez. Porté par l’aile gauche écologiste du parti démocrate, ce programme proposait en effet un objectif plus marqué encore en termes d’emplois verts et mettait l’accent sur la justice sociale. Bien que le président Biden ait précisé qu’il n’y souscrirait pas, il s’en inspire largement dans son programme et juge qu’il est un « cadre indispensable ». Cette prudence caractérisée, qui favorise le compromis entre action et acceptabilité sociale, est précisément ce qui lui est reproché par les plus fervents défenseurs du climat.

 L’administration Biden a prévu la création de 250 000 emplois pour fermer les puits de pétrole et gaz abandonnés. Elle prévoit également de moderniser les différentes infrastructures (eau, énergie, transports) pour leur permettre de mieux résister aux changements climatiques. Pour favoriser les économies d’énergie, il est envisagé la construction de plus de 1,5 millions de logements sociaux économes en énergie, la rénovation de 4 millions de bâtiments commerciaux, l’isolation de 2 millions de maisons individuelles. Son sous-programme « Clean Energy » parle également de la mise en place de financements complémentaires, avec l’instauration de mécanismes particuliers pour inciter à la réalisation de travaux.

Le programme de Joe Biden est présenté comme « le plus ambitieux que les Etats-Unis n’aient jamais connu » selon Leah Stokes, experte en politique énergétique et environnementale à l’Université de Californie. Mais est-il seulement réalisable ?


Politique de réalité et réalité politique

La gestion chaotique de la question environnementale par l’administration Trump a laissé des traces et malgré un programme ambitieux soutenu par un budget conséquent, la tâche semble complexe. Le nouveau président est scruté avec la plus grande attention par les ONG internationales mais aussi par ses partenaires, notamment européens : Selon le Climate Action Tracker, si le programme de Joe Biden sur le climat réussit à se mettre en place, on pourra éviter une hausse … de 0,1 degré d’ici à 2100. Cette ambition n’est donc qu’une première pierre face à la réalité d’un changement climatique brutal. Elle dépendra aussi de la capacité des Etats-Unis à entraîner dans leur sillage d’autres pays.

Joe Biden n’est pas novice en la matière. En 1986, il présentait au Sénat le premier projet de loi sur le changement alors que la classe politique américaine découvrait à peine le concept d’effet de serre. Il a également supervisé un plan de 90 milliards censé favoriser les énergies propres sous la présidence de Barack Obama et supervisé avec John Kerry les négociations internationales pour le climat.

Au-delà de l’opinion populaire et des lobbys économiques, Joe Biden doit aussi pouvoir compter sur ses soutiens du corps législatif. Avec une courte majorité au Sénat qui peinerait à imposer le programme présidentiel, le camp démocrate envisage de supprimer une ancienne règle permettant à l’opposition de bloquer un vote, si 40% des sénateurs sont opposés au texte. En faisant ainsi, Biden aurait les mains libres pour pouvoir appliquer son programme vert. Une arme redoutable qui pourrait se retourner contre lui si le Sénat rebasculait dans le camp républicain dans deux ans. Au risque de retourner à une guerre de tranchées et de perdre un temps précieux.

Les propositions du nouveau président Joe Biden sont d’ores et déjà au programme de la COP26 prévu à Glasgow en novembre 2021. D’ici là, le candidat aura probablement affiné sa stratégie et ses observateurs une idée plus précise de ses ambitions environnementales.

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