L’énergie en transition
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La rénovation énergétique fonctionne-t-elle en Allemagne ?

14/10/2020
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La rénovation énergétique fonctionne-t-elle vraiment en Allemagne ?


La transition énergétique (ou Energiewende en allemand) auparavant soutenue à plus de 90% par la population allemande ne fait plus l’unanimité. En témoigne l’édition du mois de mai 2019 du magazine allemand Spiegel qui titrait « Murks in Germany » [1] (« Travail bâclé en Allemagne »). Au début des années 2000, l’Allemagne s’engage sur trois grands axes : la transformation de l’approvisionnement énergétique, une gestion de l’énergie plus efficace et surtout, la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour mettre en œuvre ces 3 objectifs, le gouvernement fédéral allemand entend développer les sources d’énergie renouvelables et réduire la consommation d’énergie en parallèle. Accélérée par la catastrophe de Fukushima, l’« Energiewende » avait notamment prévu la sortie totale du nucléaire.

Car contrairement à la France, l’Allemagne dispose d’une énergie plus carbonée, mais aussi plus chère : la facture énergétique y est 25% plus élevée qu’en France, à consommation équivalente. L’efficacité énergétique prend donc une envergure autre, mais aussi des chemins différents, avec des incitations surtout destinées aux entreprises. Le parent pauvre ? Les maisons individuelles, dont le parc se rénove au pénible rythme de 1% par an, contre 1,7% en France et 3% fixés comme objectifs à l’échelle européenne. Mais alors pourquoi ce retard ?

La difficile percée du secteur résidentiel

Avec une enveloppe qui s’élève à 5 milliards d’euros pour l’année 2020, le secteur de la rénovation énergétique en Allemagne se développe (+113% par rapport à l’année précédente) mais reste encore en deçà des objectifs du pays. Les freins sont nombreux : démarches et réglementation contraignantes, manque d’aides calibrées pour le bâtiment,…. Contrairement à la France, qui a opté pour une voie plus orientée vers la rénovation massive, l’Allemagne a placé de très fortes barrières à l’entrée : le financement repose sur des audits spécifiques en amont et en aval et sur une obligation de performance élevée, difficile à atteindre et surtout à mesurer pour les logements. Peut-on pour autant parler d’échec ?

Aujourd’hui, le logement représente un tiers des émissions de gaz à effet de serre de l’Allemagne, et 35% de la consommation totale d’énergie. Malgré les moyens mis en œuvre, la consommation d’énergie stagne. L’Allemagne a investi plus de 340 milliards dans la rénovation énergétique des bâtiments depuis 2010, mais après hausse significative de la consommation entre 1990 et 2010, suivi d’une légère baisse, celle-ci semble stagner. Aujourd’hui, les seules aides sont la prime au remplacement des installations de chauffage, le crédit d’impôt et les crédits et subventions à taux préférentiels accordés par la banque KFW (50% de ses fonds financent ces prêts). Les critiques invoquent régulièrement  « l’effet rebond » [2] : les gains générés par la meilleure performance du parc sont réduits voire annulés par une augmentation des usages (hausse du chauffage par exemple). Mais cela ne veut pas pour autant dire que les travaux sont inefficaces en soi. S’ajoute à cela une proportion de locataires plus élevée, 48% pour l’Allemagne contre 36% en France, une interdiction de compenser le coût total des travaux par une augmentation du loyer (11 % du montant maximum de la facture) et un âge moyen du parc relativement ancien : 70% des bâtiments résidentiels ont été construits avant 1970 . Chose singulière d’un point de vue outre-Rhin : l’Allemagne est par ailleurs l’un des rares pays de la zone euro à ne pas utiliser de système de certificats d’économies d’énergie.

En 2014, le gouvernement allemand, loin d’abandonner le sujet, a publié une stratégie nationale d’efficacité énergétique : le Plan National d’Action en matière d’Efficacité Energétique (NAPE), découpé en trois axes : promouvoir l’efficacité énergétique dans le secteur résidentiel, en faire un modèle d’affaires et de rentabilité et enfin augmenter la responsabilité individuelle en matière d’efficacité énergétique. Il est prévu à cet effet l’instauration d’un crédit d’impôt pour la rénovation énergétique des bâtiments, l’augmentation du budget disponible pour le subventionnement de la rénovation des bâtiments. Dans le secteur résidentiel, la mise en place d’outils de marché tels que les CEE est envisagée afin de rattraper petit à petit le secteur industriel, pour lequel l’obtention d’aides à la rénovation est moins difficile. Mais son potentiel report sur la facture effraie … les industriels, qui craignent une baisse de compétitivité.


L’industrie, la priorité allemande


Le secteur industriel souffre d’une augmentation de la consommation énergétique à partir des années 2000 passant de 26,2% à 29,5%, légèrement plus élevée que dans le résidentiel. La priorité est alors à l’industrie, qui pousse le gouvernement à adopter en 2017 une stratégie de soutien globale à l’efficacité énergétique et à la transformation des réseaux de chaleur. L’objectif est de réduire de 50% la consomme d’énergie dite primaire, d’ici 2050.

L’Allemagne a fait le choix de l’industrie, où les économies d’énergie sont plus facilement mesurables, mais aussi qui pèse plus lourd dans la balance : la consommation finale d’énergie représente 29% du total contre 19% en France. Peu surprenant vu que le secteur pèse lui aussi plus lourd dans l’économie du pays.

A l’instar de ce qui se pratique en France avec la norme ISO 50 001, nos voisins ont fait le choix d’un système ingénieux d’éco-conditionnalité : l’atteinte d’un niveau de performance donné (appelé KfW Efficiency House 115), conditionne l’obtention des subventions de la banque publique allemande, la « KfW ». Plus le niveau de performance est élevé et plus les subventions sont grandes. Grâce à la mise en place d’un accompagnement personnalisé et d’un système de conseillers bancaires/conseillers énergétiques au sein des banques, l’efficacité énergétique industrielle poursuit son essor.



Le rôle fondamental des banques

Le secteur bancaire et notamment la KfW , l’équivalent de la Caisse des dépôts française, est donc en Allemagne la base du dispositif d’aides à la rénovation énergétique. Lancés en 2006, les programmes de la banque d’investissement étaient au départ consacré au résidentiel, avant de s’ouvrir aux autres secteurs. Grâce à la garantie à 100% de l’Etat fédéral, elle dispose d’une capacité de refinancement estimée à 80 milliards d’obligations. Un financement supplémentaire est issu du fonds climat-énergie, aide publique alimentée par les recettes de la vente aux enchères de certificats européens d’émissions de CO2. Ces aides n’impactent pas le budget de l’Etat mais elles dépendent des en revanche des variations de prix des certificats, et sont donc fluctuantes. La KfW accorde des prêts aux particuliers, collectivités et aux entreprises pour financer des projets de rénovation énergétique des bâtiments. Une particularité néanmoins : la KfW utilise les banques commerciales comme intermédiaires et ne prête pas directement aux particuliers. Cela induit la présence d’un expert thermicien pour contrôler et valider la conformité en amont, ainsi que la performance énergétique après les travaux. En France, on estime que les banques devront multiplier par près de 4 leur contribution pour nous permettre d’atteindre nos objectifs à horizon 2050.

Le réel frein des politiques de rénovation en Allemagne n’est donc pas tant le financement mais les exigences contraignantes pour pouvoir en bénéficier, qui sont pleinement adaptées au secteur industriel et moins résidentiel. Cette réglementation à deux effets directs, elle diminue le montant des aides mais pousse néanmoins à l’amélioration du niveau de performance. Pour une rénovation énergétique dans le résidentiel, seul 10% du coût va pouvoir être perçu en moyenne en subventions contre 25% pour une rénovation lourde, plus commune dans le secteur industriel. Face au retard pris, certains enterrent déjà la rénovation énergétique du résidentiel. Axel Gedaschko, le président de la GdW, plus grande fédération allemande de sociétés immobilières, recommandait récemment un changement radical de stratégie, en se concentrant sur l’amélioration du mix énergétique. Une hypothèse qui pose un problème majeur : se concentrer sur le mix énergétique induit d’avoir au préalable optimisé sa consommation, afin de mieux dimensionner son besoin. Elle induit par ailleurs une confusion entre les comportements de consommation et l’efficacité des travaux, qui sont, au final, les deux faces d’une même pièce.


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[1] https://savethehuronmountains.org/2019/05/06/the-reason-renewables-cant-power-modern-civilization-is-because-they-were-never-meant-to/

[2] https://www.lemonde.fr/planete/article/2011/02/24/l-effet-rebond-penalise-les-economies-d-energie-et-le-climat_5981970_3244.html

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