L’énergie en transition
logement

Rétrospective des politiques de rénovation énergétique en France

14/10/2020
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Rétrospective des politiques de rénovation énergétique en France


Comment ont évolué les politiques de rénovation énergétique en France ces 20 dernières années ?


La rénovation énergétique est un domaine où la réglementation évolue constamment, au grès des gouvernements successifs et de l’intégration toujours plus forte des questions climatiques. Précipitée par les deux chocs pétroliers, elle s’attaquait en vérité à une question fondamentale : la dépendance de notre modèle économique à l’énergie. Depuis, elle n’a cessé de prendre de l’ampleur en s’ouvrant d’une part à d’autres secteurs que le logement, et d’autre part en élargissant progressivement ses objectifs.


A l’origine des politiques de rénovation énergétique, une prise de conscience nationale


1973. L’effondrement du dollar américain et la guerre naissante au Moyen-Orient  provoquent un séisme sans précédent dans la jeune histoire de l’énergie : le premier choc pétrolier. En 6 mois, le prix du baril est multiplié par 4. On découvre que l’énergie peut devenir rare et donc chère. En découle une série de contremesures qui aboutissent en France à la création de l’Agence pour les économies d’énergie (AEE). Son objectif premier : réduire le besoin en pétrole dans les différents secteurs (industrie, transport, habitat, etc.), en s’attaquant à l’optimisation des consommations. La première réglementation thermique voit alors le jour au milieu des années soixante-dix, elle établit de nouvelles normes d’isolation thermique et de réglage des appareils de chauffage dans les habitations. Le second choc pétrolier entraîne lui une réaction différente, davantage centrée sur une production d’énergie décarbonée et notamment renouvelable, avec en chef d’orchestre le tout nouveau Commissariat à l’énergie solaire (COMES). La fusion de ces deux agences va donner naissance à l’Agence Française pour la Maîtrise de l’Energie (AFME), chargée de mettre en œuvre un programme de réduction de la consommation d’énergie, principalement dans le secteur de l’industrie, et qui deviendra quelques années plus tard l’ADEME que nous connaissons aujourd’hui.  Viennent alors les premières réflexions sur les questions liées à la rénovation du bâtiment. Ces mesures d’incitation pécuniaires sont dans un premier temps destinées aux propriétaires de logements résidentiels et bâtiments tertiaires mais peuvent également prendre la forme d’un accompagnement aux travaux de rénovation.



Les années 2000 : le début de l’incitation aux travaux de rénovation énergétique


Une première réponse intervient en 2005 avec la loi POPE, et l’introduction d’un dispositif singulier dans le paysage alors modeste des aides à la rénovation : les Certificats d’Economies d’Energie.  Les CEE visent à inciter les vendeurs d’énergie à financer des travaux d’économies d’énergie chez le consommateur, qu’il soit un particulier, une entreprise ou un acteur public, sous contrôle des services de l’Etat. C’est une application détournée du principe du « pollueur payeur » (instaurée par la loi Barnier 1995). Le volume d’économies d’énergie que doivent financer les énergéticiens dits « obligés » dépend de leur volume de vente d’énergie, et l’enveloppe globale évoluera de manière exponentielle au fur et mesure des années, jusqu’à devenir en 2021 le 1er levier de financement de la rénovation des logements. Une petite révolution dans le domaine des politiques publiques, avec l’émergence d’un dispositif hybride où l’Etat fixe les règles et contrôle, et où les acteurs privés financent et mettent en œuvre.

Quelques années après l’instauration de ce dispositif, la rénovation quitte le seul giron des agences gouvernementales pour faire son entrée dans l’organigramme des directions centrales : la Direction Générale de l’Energie et du Climat (DGEC) émerge et dispose dans son portefeuille des politiques de maitrise de la demande en énergie (nommée « utilisation rationnelle de l'énergie ») . L’énergie devient une préoccupation environnementale : la DGEC est rattachée au ministère de l’écologie et non plus à Bercy. En parallèle, l’éco-prêt à taux zéro dit « éco-PTZ » est mis en place par la loi finance de 2009 pour pallier le manque d’investissement des banques privées. Bercy estimait alors à 80 000 le nombre de logements qui pourraient être rénovés grâce à cette aide chaque année. Las. En 2019, moins 40 000 Eco-PTZ ont été mobilisés par les particuliers (moitié moins que ceux mobilisés pour l’accession à la propriété), principalement du fait d’un manque d’attractivité.

Changement de braquet, avec l’arrivée des Grenelle, qui met sur le devant de la scène la question des émissions carbone et la lutte contre l’effet de Serre. Avec les lois Grenelle I du 3 août 2009 et Grenelle II du 12 juillet 2010, la France se dote d’un plan de rénovation orienté vers la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le secteur du bâtiment consomme en effet plus de 40% de l’énergie, et émet un quart des émissions nationales GES. L’objectif fixé par ces deux Grenelle de l’environnement est de diviser par 4 ces émissions d’ici 2050, de n’avoir que des bâtiments neufs à « énergie positive » en 2020 et surtout, de massifier la rénovation énergétique à raison de 500 000 rénovations lourdes par an.  



Les années 2010 : la montée en puissance du volet social de la rénovation


Un plan mis à mal par une crise mondiale qui se déclenche dès 2007. Elle fragilise les banques, les Etats mais aussi la situation des ménages et l’immobilier [1]. Les années 2010 marquent donc sans surprise une mobilisation des pouvoirs publics en faveur de la lutte contre la précarité énergétique en France. L’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (anciennement FNAH et aujourd’hui ANAH), créé en 1945 pour faire face à la crise du logement de l’après-guerre, s’empare de la question émergente de la précarité énergétique dès 2009. Le Grenelle II de l’environnement du 12 juillet 2010, dans son article 11, en pose une première définition officielle: « Est en situation de précarité énergétique [..] une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat. ». Le message est clair : sortir de la précarité énergétique passe par la réalisation de travaux de rénovation. Ainsi, le 21 mars 2013 est lancé le Plan de rénovation énergétique de l’habitat (PREH) qui fixe les objectifs annuels attendus en matière de rénovation massive du parc des bâtiments existants, avec en priorité, la lutte contre la précarité énergétique (pour les années 2014 et 2017, 38000 et 50000 logements privés occupés par des personnes en situation de précarité). L’ADEME se charge du volet informatif, afin de simplifier les différentes démarches pour les particuliers, et l’ANAH propose un accompagnement de plus en plus orienté vers les ménages modestes. Par la suite, la loi finance de 2014 va instaurer la TVA à taux réduit à 5,5% pour les travaux de rénovation énergétique ; à l’image de ce qui est appliqué sur certains produits de nécessité.

La multiplication des aides complexifie cependant le parcours du particulier, qui en plus de se repérer dans les différents dispositifs nationaux et locaux, doit également trouver un professionnel digne de confiance : c’est pourquoi en 2011 est introduit le label RGE, qui devient bien souvent une condition d’obtention des aides à la rénovation. Ce label, conçu pour filtrer la profession pour ne garder que les artisans formés aux dimensions énergétiques et environnemental, sera décrié au fil du temps, considéré comme trop simple à obtenir et à conserver. Des travaux sont d’ailleurs en cours en vue de le « fiabiliser ».

Dans la même lignée est créé en 2017 le CITE (Crédit d’impôt à la transition énergétique). Ce nouveau crédit permet à ceux qui effectuent des travaux de rénovation chez eux, de bénéficier d’une réduction sur leurs impôts, variable selon les travaux entrepris. Mais il présente un défaut majeur : on ne le perçoit – par déduction – qu’à la fin de l’année. C’est pourquoi il sera remplacé en 2020 par Ma Prime Rénov’, qui sera accessible à tous, sans condition de revenus dès le 1er janvier 2021. Plus attractive, cette aide est surtout versée directement après le dépôt du dossier, ce qui permet de limiter l’avance budgétaire des ménages. En parallèle le dispositif FAIRE, mis en place en 2019, a pour but d’informer et d’accompagner au mieux les particuliers grâce à des conseillers indépendants. Du côté de l’Etat, l’accent est mis sur différentes opérations, notamment via les CEE, qui engendrent une multiplication des gestes de rénovation (près de 500 000 en 4 ans). Mais cette politique de coup-à-coup et la forte croissance des objectifs en un temps limité entraîne dans son sillage une vague d’escrocs, qui jettent le discrédit sur une filière pourtant essentielle. Les contrôles se renforcent, tant du côté des acteurs privés que publics, le marché des CEE se vide progressivement des acteurs les moins scrupuleux mais le mal est fait : l’Etat concentrera désormais son attention sur la fraude et les pratiques commerciales abusives. Ce seront d’ailleurs les principales mesures prises en 2019 avec la « Loi Energie Climat» puis en 2020 avec l’interdiction du démarchage téléphonique dans la rénovation énergétique. Ironie du sort pour un secteur pourtant considéré comme socialement et écologiquement utile. Ce sont plus globalement les travaux subventionnés dits à 1 € et la question du reste à charge zéro qui reviennent semer le doute au plus haut niveau de l’Etat : la quasi-gratuité des travaux engendre-t-elle des problèmes de qualité ou ceux-ci trouvent-ils leur origine ailleurs ? Rend-elle le consommateur moins vigilant ? Ou n’est-elle pas une nécessité pour permettre aux plus modestes de rénover leur logement ?



En route vers 2050 : rénover plus ou rénover mieux pour atteindre l’objectif européen ?


A ce débat s’en ajoute un autre, plus technique. L’objectif « neutralité carbone » désormais fixé par l’Europe entraîne un glissement subtil : l’efficacité énergétique doit avant tout viser les consommations d’énergie carbonée, ce qui semble fort logique. Mais la question du carbone, dans un pays au mix énergétique particulier comme celui de la France, importe un débat propre à l’autre versant de la transition énergétique : la production d’énergie. Privilégier l’efficacité « carbone », c’est privilégier une énergie plutôt qu’une autre. Mais lesquelles ? L’électricité nucléaire ? Le gaz ? Selon quels critères ? Peut-on baisser sa consommation carbone sans pour autant baisser sa consommation d’énergie ? Le débat en cours sur la 5ème période des CEE devrait éclairer le devenir des politiques de rénovation en la matière. En attendant, le plan de relance présenté par le gouvernement français le 3 septembre 2020 confirme le nouveau statut des politiques de rénovation énergétique, autrefois axées sur l’économie et l’indépendance énergétique, et désormais recentrées sur les questions sociales et climatiques.

La multiplication des gestes de rénovation, sans forcément traiter le bâtiment dans son entièreté, laisse par ailleurs un chantier inachevé : celui de la rénovation globale, qui consiste à réaliser en une seule fois la totalité des travaux nécessaires à un logement dans un ordre logique ou mieux encore tout en même temps. Générant des économies importantes mais lourdes à financer, la rénovation globale permet en moyenne de diviser par 3 ou 4 la facture de chauffage. Les tous récents Coup de pouce CEE Rénovation globale et la nouvelle mouture de MaPrimeRénov’ semblent aller en ce sens. Cependant, malgré l’ambition, la tâche reste ardue : manque de formation des artisans, difficulté à coordonner différents corps de métiers, aides au financement peu attractives, …. Rares sont les entreprises, comme par exemple l’entreprise sociale et solidaire Dorémi, à s’être spécialisés dans cette approche.

L’avenir nous dira si la France est enfin sur les rails de la rénovation du logement au standard basse consommation. Sinon, les mesures d’obligation mises en place dans les prochaines années pourraient souffler un vent de panique : diagnostic de performance énergétique obligatoire pour 2022, obligation de rénover les passoires thermiques pour 2030 et puis du parc global privé d’ici 2040. Incitation et obligation devront certainement marcher de concert pour éviter un sentiment d’injustice ou d’écologie « punitive », écueils dans lesquels sont tombées d’autres mesures, à commencer par la fameuse taxe carbone.

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[1] https://www.cairn.info/revue-recherche-sociale-2013-3-page-6.html

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